Gilles Leroy (né le 28/121958), Alabama Song, Collection Folio, Prix Goncourt 2007

Publié le par Fon10

Un superbe roman que j'ai découvert cette année.

Une note précise que le titre choisi par l’auteur fait référence à Grandeur et décadence de la ville de Mahagomy de Bertolt Brecht. Le titre évoque chez moi la chanson des Doors, extraite de leur premier album, reprise du même B. Brecht.

MINUIT MOINS VINGT

L’incipit donne le ton du roman, qui fait un portrait peu reluisant de l’auteur de Gatsby.

« Il en est qui se cachent pour voler, pour tuer, pour trahir, pour aimer, pour jouir. Moi, j’ai dû me cacher pour écrire. j’avais vingt ans à peine que déjà je tombai sous l’emprise – l’empire – d’un homme à peine plus vieux que moi qui voulait décider de ma vie et s’y prit mal. »

1 – Poupées de papier

  • Le bal des soldats. Juin 1918

La jeune Zelda Sayre rencontre dans la petite ville de Montgomery (Alabama) les soldats en partance pour l’Europe, notamment le lieutenant Scott Fitzgerald (21 ans). Coup de foudre.

  • La plus belle nuit de ma vie

Scott est de retour d’Europe, au camp Sheridan. Pour ses 18 ans, le 27 juillet 1918, Scott l’invite au Country Club. En 1940, alors qu’elle est hospitalisée, elle se remémore certains de ces souvenirs. Elle lui avait offert alors une flasque en argent où elle avait inscrit Ne m’oublie pas (en français).

  • No football tonight

Mars 1919. A Montgomery, elle est courtisée. Elle est la fille d’un juge et membre d’une illustre famille. Elle mène pourtant une vie dissolue pour cette petite ville conservatrice. Deux jeunes hommes se tuent en prouesses d’aviation pour elle. Scott la demande en mariage. Nous apprenons qu’il vient de la région des Grands Lacs (au Nord).

  • Reine des ploucs

Juin 1919. Il n’arrive pas à être publié. Francis Stubbs, un riche sportif, la demande en mariage.

  • Une tornade

Août 1919. Elle lit une nouvelle publiée par « Goofo » (le surnom de FSF) dans un journal.

Highland Hospital, 1940. On apprend que sa grand-mère est morte tuée par un cerf et que son grand-père, gouverneur, a fait interdire la chasse à courre.

Septembre 1919 : déclare encore son amour à Goofo, dont le roman devrait être enfin publié, après une deuxième nouvelle.

  • Suite 2109, Hôtel Baltimore, NYC

1920. Ses parents désapprouvent leur mariage.

  • Cathédrale St Patrick, Ve avenue, NYC

Mariage. Scott est ivre.

1940. Chez son psychiatre, qui s’étonne d’un récit différent qu’elle avait livré, d’un mariage à la sauvette. En fait, ses parents n’ont pas voulu venir.

1920. Virés de plusieurs hôtels de NY pour des fêtes trop agitées. Elle est enceinte. Ils s’installent à Westport.

« Mon frère aîné Anthony Jr disait qu’il fallait aller à Paris car c’était là que toutes les choses se passaient, en littérature, en danse, en musique, en peinture. »

Mars 1940. « C’est nous qui avions inventé la célébrité et surtout son commerce. »

Elle semble en vouloir à son mari dans ses choix de carrière.

« La joie serait-elle douloureuse ? Quand je suis heureuse – si seulement il m’arrivait de l’être encore – ça fourmille dans mes jambes, j’avale trop d’air, j’étouffe, mes yeux se voilent, il faut se rendre et rideau ! je tombe.

J’aurais voulu vous le dire, docteur, mais je garde un peu de moi pour moi.

Et c’est là, à Westport, dans la maison du bonheur, que la poupée en moi s’est déglinguée. (…) c’est là que j’ai ressenti le manque d’Alabama, le manque de cette terre abhorrée qui était la mienne. »

Elle songe à une lobotomie

Elle rencontre Edouard Jozan, aviateur français, dont elle tombe amoureuse.

2 – L’aviateur français

  • L’irréparable

Juillet 1924. Liaison torride

  • L’autre plus belle nuit de ma vie

1926. Pleasant Avenue, Alabama, avec sa nourrice, Auntie.

1940. Elle cherche à mettre des mots sur ses souvenirs (odeurs, etc.).

  • Party

Eté 1924. Scott fait un scandale devant ses invités à cause de cette liaison étalée au grand jour et de ses débordements en général Il l’oblige à une fellation (pratique qu’elle présente comme dégradante) le lendemain matin.

Il y a clairement une opposition entre cette liaison torride et un mariage sans sexe

  • Epingles de nourrice

Scott, elle et leur jeune fille s’installent quelques mois à Paris puis à Antibes. Sortie de Gatsby, un succès. Scott ramène Lewis O’Connor, que Zelda déteste d’emblée. Ce personnage est l’avatar d’Ernest Hemingway, dont la carrière a été lancée grâce à Fitzgerald.

  • Retour à la maison mère

Raconte une scène de corrida à Barcelone où un taureau éventre un cheval avant de mourir à son tour devant une foule en délire, juste après la messe. Cette scène la rapproche de sa fille, traumatisée par le spectacle.

1924. Elle est mise sous surveillance trois mois pour mettre un terme à sa liaison. Elle écrit dans son journal, que Scott utilise comme inspiration. Il veut la garde de leur fille, à cause de l’adultère.

Avril 1940. Quitte Highland Hospital pour vivre chez sa mère à Montgomery, au 322 Sayre Street. Déchéance physique et morale. Son père est mort, son frère s’est suicidé. Elle vit dans un bungalow à l’écart de sa mère.

  • Plus loin que ce globe d’attente.

1926. Traîne dans les bars de Paris. « Je suis différente. Fragile, disent-ils. Fêlée, enfoncent-ils. So weird. »

3 – Après la fête

« Il s’agit d’une petite anxieuse épuisée par son travail dans un milieu de danseuses professionnelles. réactions violentes, plusieurs tentatives de suicide toujours interrompues à temps. » Professeur Claude, psychiatre à la Malmaison, Rapport sur Zelda Fitzgerald. »

  • Autruches

1940. Décrit un Francis Scott en pleine déchéance lui aussi.

  • Danser

Place de Clichy. Apprends à danser le ballet. « Parfois je sens la sueur sous les bras dit-il. Parfois j’ai oublié de me recoiffer dans le taxi et je ressemble à une femme des rues, dit-il aussi. Je luis fais honte. Ce n’est pas nouveau, mais ça va empirant. » Elle fait remarquer que les hommes sont sales. La pièce où il écrit pue.

Fréquentent Picasso, qu’elle présente comme méprisant, Jean Cocteau.

Elle l’aime malgré tout. Décrit leur quotidien parisien. Dispute. Se blesse gravement au pied. Infection au staphylocoque doré. Elle ne pourra plus danser. Déteste « Lewis O’Connard », écrivain raté et vantard.

  • Sanatorium de la Malmaison.

Avril 1930. N’a jamais été une ménagère. Elle pense qu’elle et Scott avaient besoin l’un de l’autre. Elle s’attribue le titre de Gatsby. Elle présente Scott comme un homo refoulé. Elle dit n’avoir aimé que l’aviateur, un mois durant, à Fréjus.

Refuse un rôle aux Folies Bergères. Surprend Scott et Lewis dans une chambre. Sous morphine pour se calmer.

  • Les aires de Prangin

Est internée en Suisse pendant plus d’un an. Elle dit avoir avorté d’un fils.

4 - Retour au pays

  • 1932, Baltimore, Maryland

Toujours en clinique. Réclame à Scott de quoi écrire.

Finit par troquer une broche contre une machine à écrire.

1940. Scott a une nouvelle maîtresse, Sheila.

  • 1932, La Paix

Relâchée après quatre mois et demi d’internement. Sa fille Patti est à Paris.

« J’ai épousé un artiste ambitieux, me voici douze ans plus tard flanquée d’un ivrogne et couvert de dettes. » Elle veut publier ce qu’elle a écrit en cure mais il veut l’en empêcher.

1922. Westport. Les nouvelles publiées alors l’étaient avec leurs deux noms.

  • Ecrire

Raconte à ses thérapeutes, incrédules, avoir surpris son mari avec Lewis O’Connor dans une chambre d’hôtel.

1940.

Décrit Scott comme un pilleur, un plagiat de son œuvre à elle. Elle peint.

  • 1934, deux cliniques et un hôpital

Clinique de luxe à Beacon, New York. Beaucoup maigri.

« On s’est tellement aimés

et aussi

fait du mal

j’ai peine à respirer

Ce qui nous a rapprochés ? L’ambition, la danse, l’alcool – oui, bien sûr. Ce désir bleu de briller. Aucun éther n’était aussi puissant. »

Le psy et un conseiller matrimonial lui font porter une part de responsabilité dans la situation. Assiste à son vernissage avec une infirmière et un surveillant.

Publication de Tendre est la nuit, après 9 ans de travail. En 4 ans, de son côté, elle a connu trois internements. Son avatar dans le livre y apparaît comme une folle à lier. Lewis O’Connor connaît aussi le succès et méprisee Scott désormais. De retour à La Paix, Maryland. Elle écrit en cachette.

  • Histoire de mon frère

1940. Elle est fille de premier juge de la Cour Suprême, petite-fille de gouverneur et de sénateur. Evoque de nouveau son avortement de l’enfant de l’aviateur à Menton par une faiseuse d’anges. Elle a trois sœurs, Marjorie, l’artiste, Tootsie, l’intellectuelle et Tilde, la beauté ; et deux frères (dont un est mort enfant). Le second, Anthony Jr, est un écrivain raté. En 1933, il se suicide à Mobile, Alabama, en se défenestrant du sixième étage d’un hôpital où il était aussi interné. Sa grand-mère maternelle s’est aussi suicidée, ainsi que sa grand-tante Abigaïl. Parle de sa mère, Minnie Machen.

Scott l’a faite enlever sans qu’elle puisse dire au revoir à l’aviateur. Elle est soignée par électrochocs. Raconte son avortement clandestin.

5 - La nuit puritaine (1940-1943)

« Nous appelons Nuit la privation du goût dans toutes les choses. » Saint Jean de la Croix

  • Une visite

Reçoit la visite de Tallulah Bankhead, bisexuelle, comédienne, fille du président de la Chambre des Représentants, son amie d’enfance, avec qui elle a fait les 400 coups, à Montgomery. Celle-ci lui apprend que Scott est à Hollywood, que ses scénarii sont refusés.

Page 191, une réflexion intéressante sur la religion : « « Je peux te dire un secret ? Depuis que je parle de Dieu, ils me trouvent moins folle. ‘En bonne voie’, promettent-ils à maman. D’avoir mis le nom de Dieu sur mon calvaire, eh bien, ç’a été comme un miracle : ils n’ont jamais senti la guérison aussi proche. » Tallulah me toisa avec surprise et un peu de condescendance aussi : « ça fait longtemps que j’ai compris ça. Il suffit d’aller à l’église épiscopale un dimanche, de se tenir en retrait et de regarder toutes ces têtes fléchies qui dodelinent d’un même mouvement de balancier. Retire-leur le mot Dieu, et ils sont tous bons pour l’asile. Trente fourgons pleins, direct au cabanon. La religion est une question de santé publique. On ne rigole pas avec ça. »

Elle somme Lewis O’Connor de ne plus colporter de rumeurs à son sujet sous peine de poursuites en justice.

Tallulah doit tourner avec Hitchcock.

Pauvreté. Déchéance.

15 septembre : mort de William Brockman Bankhead, le père de Tallulah dont nous apprenons que la mère est morte en la mettant au monde.

  • 21 décembre 1940

« No God today. No sun either. My Gofo died. »

  • 22 et 23 décembre

La mort de Scott la plonge dans un état psychique inquiétant.

« personne ne sait comment on a pu s’aimer au départ ni comment on s’est supportés toutes ces années. Au départ, je m’en foutais de lui, à la fin il se foutait de moi. (…) Qui désormais se souviendra de nous ? Qui ? Comme si, de notre vie, rien ne devait rester. Cendres amères et poussière d’or – le vent des plaines les disperse. Les amants romantiques ont fait long feu. »

  • Rendez-moi

Auntie meurt aussi.

Un beau passage p 194 : « J’ai perdu bien des mots dans ma vie, à force d’abrutissement.

Le mot perdu qui me manquait le plus, depuis quinze années, ce mot m’est revenu en rêve dans la nuit : Volupté.

Moi qui aimais tant prendre des bains, paresser dans la mousse et le parfum, les bourreaux blancs m’ont plongée dans des baignoires emplies de glace pilée, ils m’y tenaient, pesant à quatre mains sur mes épaules et mes chevilles jusqu’à ce que je m’évanouisse de douleur. Aujourd’hui, la seule vue d’une baignoire me glace le sang.

Qui pardonnerait ? »

Vend des toiles, des poupées, se remémore des souvenirs de jeunesse.

Février 1943. Patricia Frances (Patti), présentée comme sage, saine et équilibrée, épouse elle-aussi un lieutenant issu de Princeton, présenté comme sérieux. Elle n’assiste pas à la cérémonie, pour ne pas la gâcher.

« Un pays que j’ai aimé. Un pays où j’ai aimé. »

MINUIT PILE

  • 919 Felder Avenue, Montgomery, Alabama

Mars 2007. L’auteur devant la demeure de Zelda, devenue un musée. Elle a planté un magnolia grandiflora devant la maison de briques rouges. L’auteur évoque la même atmos^phère que dans le film de Clint Eastwood, Minuit dans le jardin du bien et du mal.

Zelda est morte le 10 mars 1948 vers minuit dans l’incendie de son asile, le Highland Hospital, à Asheville, Caroline du Nord, à 47 ans, où elle était soignée depuis plus de 10 ans. Elle n’a pu s’échapper, avec huit autres patientes.

L’auteur évoque Faulkner.

Ce roman, et non cette biographie, se conclue avec ce superbe explicit : « … nul ne maîtrise les tempéraments – pas plus que les orages, le vent ou la foudre : personne, ni les psychiatres ni les climatologues. Encore moins les amants ombrageux.

A minuit pile, les sirènes dans le ciel de Montgomery se sont tues, les radios et les télés ont repris leurs programmes.

Minuit pile, Zelda, l’heure de la collation : sur les pousses d’épinards, jetez beaucoup de poivre, un filet d’huile d’olive. Jetez, si vous trouvez, des brins de thym et de romarin. Dans les ballons de cristal, versez du champagne à 12° et tous les mots d’amour que vous pourrez. Minuit pile, l’heure de briller.

Le vent d’ici souffle trop fort, il emporte les voix, il emporte les mots, il emporte avec lui les derniers grains de sable de la plage de Fréjus qui crissaient sous les dents. Le vent d’ici me chasse.

Adieu, Zelda. Ce fut un honneur. »

Ce magnifique roman est aussi un bel hommage à la Génération perdue, dont le chef de file est Fitzgerald et qui désigne des écrivains américains qui ont vécu à Paris durant l’entre-deux guerres et qui décrivent une Amérique en pleine mutation sociale et morale. Le terme est dû à Gertrude Stein, qui appartient à cette Génération, comme Steinbeck ou Hemingway.

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